Ce dossier traite de la circulation et de la diffusion des modèles urbains. Alors que les recherches ont souvent porté sur des relations entre pays occidentaux ou nord-sud, mais à partir du nord, les articles présentés privilégient la perspective des pays du sud sur ces mouvements.
Les articles prennent en compte la diversification des pays et des régions émetteurs de modèles. Des foyers d’innovation apparaissent à partir desquels sont diffusés des expériences. Les mécanismes d’identification, de reconnaissance et enfin de mise en circulation de ces “modèles” méritent d’être identifiés. La diversification de leurs lieux d’origine induit une seconde question : comment ces différentes influences se sont-elles mutuellement agencées, concurrencées, stimulées, superposées ou succédé ? Dans ce cadre, le regard doit se déplacer et ne plus se situer dans la logique de transfert “nord-sud”, basée sur la métaphore de l’exportation, mais s’attacher également aux scènes locales qui jouent un rôle essentiel de filtrage, d’accommodation, de déformation et de recombinaison.
Une typologie des acteurs de la circulation identifie des relais et intermédiaires, en différents endroits et instances, entre le lieu “émetteur” et le lieu “récepteur” : ces étapes de la circulation sont des moments de reformulation et d’appropriation sélective des modèles.
La figure du professionnel de l’urbanisme ou de la gestion urbaine représente l’un des axes d’analyse de ces scènes locales ou intermédiaires de la transmission de modèles. La circulation, de courte ou de longue durée, parfois dans le cadre de la migration, pour études ou raisons professionnelles, constitue une dimension essentielle de la pratique de ces experts dans les pays du sud. L’étude de carrefours, comme certaines organisations internationales ou non-gouvernementales, est une autre manière de développer une telle perspective, comme un écran sur lequel sont projetés des flux de particules, dont la mise à plat à un moment donné permet de dresser une cartographie, de repérer des convergences ou au contraire, des processus d’évitement.
Les trois premiers textes étudient des exemples de circulations d’idées, de pratiques et d’acteurs de l’aménagement urbain entre pays du sud. Les quatre autres articles adoptent une démarche différente où l’essentiel réside moins dans les circulations des experts que dans le fait de scruter les modalités de réceptions d’expertises, de modèles et de pratiques d’aménagement, par des professionnels et des élus ou responsables politiques locaux.
La circulation accrue des experts et des expertises et la diversification de leurs lieux d’origine ne sont pas dissociables d’une recomposition des structures de domination économique et politique. Ces formes de domination n’imposent pas des “modèles”. Localement, tout un travail de réappropriation est sans cesse à l’œuvre. Les changements de statuts entre différentes positions institutionnelles (étudiant, militant, expert, responsable élu, et cette énumération n’est pas nécessairement linéaire) sont l’occasion d’une insertion dans un espace idéologique qui dépasse le local et favorise ces circulations d’ides et de pratiques. En conclusion, la circulation des expertises ne peut se comprendre uniquement à la lumière des rapports de force économiques et politiques globaux qui se dessinent dans la mondialisation actuelle. Elle suit des chemins éminemment complexes, dans le temps et dans l’espace, où les facteurs propres à la scène locale jouent un rôle majeur.
Eric VERDEIL